L’une des plus denses occupations du site se met en place à partir de 3300 ans avant notre ère environ, avec le développement d’un véritable village qui s’étend alors entre la paroi et la rivière. Les maisons sont semble-t-il, ovalaires, avec des murs dont la base au moins est faite de pierres et dont la toiture est supportée par des poteaux. Les habitants sont des agriculteurs cultivant des céréales à proximité du site et élevant des animaux domestiques, notamment le bœuf.
L’installation de ce probable village témoigne de la forte augmentation de l’occupation humaine de la région des Grands Causses (soit une partie des départements de l’Aveyron, de la Lozère, du Gard et de l’Hérault) à cette période. C’est là l’aire culturelle du « groupe des Treilles », entité qui avait été dans un premier temps nommée « Rodézien » par Jean Arnal dans les années 1950 (Costantini, 1968), mais rebaptisée ainsi à la suite de la fouille du site éponyme de la grotte des Treilles à Saint-Jean-et-Saint-Paul en Aveyron (Balsan, Costantini, 1972 ; Beyneix, 2003 ; Crubézy et al., 2004). Le groupe des Treilles est situé chronologiquement entre environ 3500 et 2200 avant notre ère.
De nombreux sites d’habitats sont connus, mais plus encore des sépultures collectives en grotte ou dans des sépulcres mégalithiques collectifs, les dolmens.
Le département de l’Aveyron est d’ailleurs celui qui, avec l’Ardèche, en offre le plus grand nombre. Fréquemment, ces sépultures livrent des objets rarement conservés dans les habitats, telles des gaines en bois de cerf ainsi que leurs lames de hache en pierre, de la parure, des céramiques parfois complètes ainsi que des éléments en cuivre (beaucoup plus rarement en or) témoignant du développement de la première métallurgie à cette période. Des mines de cuivre sont connues dans le sud du département.
Cette innovation technique est synchrone de l’émergence d’une forte hiérarchisation sociale.
Les statues-menhirs, qui apparaissent et fleurissent à cette période, en constituent l’incarnation minérale. Structuration sociale des groupes, émergence d’une élite, outillage et armement en métal signent la fin de la période néolithique et le début des âges des métaux.
La permanence de l’occupation de Roquemissou à cette période se matérialise également par les pratiques funéraires. Une cavité sépulcrale a été fouillée, et une seconde probable identifiée, toutes deux situées dans la partie haute de la paroi et plaçant ainsi le domaine des morts à l’aplomb direct de celui des vivants.
Ce « Locus III » est une petite grotte découverte en 1984 par Jean Clopès. Elle se présente sous la forme d’un petit auvent rocheux, prolongé par un étroit diverticule, petite anfractuosité d’environ 3,5 mètres de large sur 2 mètres de profondeur, ouvert au sud et muni d’un plafond bas (à peine 1 m de haut à l’ouverture).
Deux datations au carbone 14 sur os de défunts suggèrent que le début de son utilisation se situe entre 3300 et 3000 ans avant notre ère tandis que certains vestiges découverts, des parures notamment, indiquent que son utilisation a du s’étendre pendant toute la durée de l’occupation du village, soit près d’un millénaire, voire jusqu’à l’âge du Bronze ancien, vers 2000 ans avant notre ère. Il n’est d’ailleurs pas rare que ce type de sépulture soit ainsi utilisé sur d’aussi longs laps de temps, témoignages indirects de leur rôle mémoriel et de l’ancrage territorial fort de ces communautés villageoises.
Les dents et les os humains constituent l’essentiel des restes qui nous sont parvenus, mais du mobilier funéraire a également été mis au jour : de l’industrie lithique notamment quatre pointes de flèches et un poignard, des parures nombreuses et variées (perles calibrées ou discoïdes, à ailettes, à pointe, tubulaires, biconiques, pendentifs biforés, etc.), confectionnées dans divers matériaux (calcite, calcaire, stéatite, jayet, os et dents d’animaux, coquillages, cuivre), des tessons de céramique parfois décorés, dont certains éléments sont typiques du groupe des Treilles.
L’âge des défunts varie énormément, du nouveau-né aux personnes âgées souffrant d’arthrose sévère du cou et de maladies dentaires. Comme il n’y a plus de squelettes complets, l’estimation de l’âge doit être basée sur un os particulier (souvent cassé), comme celui de l’avant-bras droit. Toutefois, le plus souvent, les individus ne sont représentés que par des dents, dont la plupart sont tombées des os de la mâchoire.
Âge en années | Nombre |
---|---|
0 à 11 mois | 6 |
1 à 4 | 11 |
5 à 9 | 9 |
10 à 14 | 7 |
15 à 19 | 4 |
20 à 24 | 3 |
25+ | 16 |
Total minimum | 56 |
Cette estimation du nombre de défunts est un minimum, basée principalement ici sur le nombre de dents. Il est certain que le nombre réel de défunts était plus élevé, au vu des manipulations réalisées par les hommes préhistoriques eux-mêmes, parfois dans le cadre de pratiques funéraires complexes et ce sur plus d’un millénaire. Bien que des corps complets aient en effet été placés dans l’abri peu après la mort, des crânes d’adultes et certains os ont été prélevés, peut-être vers d’autres lieux (dolmens, tumulus, etc.) dans le cadre de sépultures en plusieurs temps (Crubézy et al., 2004) et pour faire de la place pour d’autres défunts.
Qui a été enterré dans l’abri ? La teneur en certains éléments chimiques de l’émail des dents apporte des indices. Le strontium est un élément présent dans les roches, le sol, l’eau, les plantes, les animaux et la nourriture que les êtres humains consomment et qui va se fixer dans les dents définitives au début de l’adolescence, pendant une période de quatre ans.
Or, les ratios de strontium varient selon les endroits : ils sont bas dans la vallée de l’Aveyron, plus élevés sur le Causse ou les Palanges. Leur mesure dans les dents retrouvées peut donc indiquer si les jeunes adolescents buvaient de l’eau et mangeaient des aliments de la vallée ou des plateaux.
Les analyses montrent que la plupart des jeunes se déplaçaient beaucoup, et que très peu se trouvaient dans la vallée pendant que l’émail se développait (Coffin et al., 2022). Malgré tout, tous ont été placés dans l’abri de Roquemissou à leur mort.
Après environ un millénaire d’occupation du village, des grottes sépulcrales associées voire des dolmens voisins, aux environs de 2300 ans avant notre ère, une nouvelle chute d’énormes blocs de plusieurs tonnes vient écraser une partie des habitations. On ignore si cet événement a eu des conséquences pour les habitants, mais l’occupation du pied de paroi cesse à ce moment-là. Les environs du gisement seront cependant encore occupés plus tard. Par exemple, la très grande villa gallo-romaine d’Argentelle et son four de tuiliers ne sont distants que de quelques centaines de mètres en amont.
COSTANTINI G. (1968) ‒ Le Rodézien, Bulletin de la Société préhistorique française, 65, 2, p. 575 590.
BALSAN L., COSTANTINI G. (1972) ‒ La grotte I des Treilles à Saint-Jean et Saint-Paul (Aveyron). I : Etude archéologique et synthèse sur le Chalcolithique des Grands Causses, Gallia Préhistoire, 15, 1, p. 229 250.
BEYNEIX A. (2003) ‒Traditions funéraires néolithiques en France méridionale (6000-2200 avant J.-C.), Paris, Errance (Collection des Hespérides), 288 p.
CRUBEZY E., LUDES B., POUJOL J. (dir.) (2004) ‒Pratiques et espaces funéraires: les Grands Causses au Chalcolithique, Lattes, Ed. de l’Association pour le développement de l’archéologie en Languedoc-Roussillon (Monographies d’archéologie méditerranéenne 17), 162 p.
COFFIN J., DOLPHIN A.E., JACKES M., YAKYMCHUK C., PERRIN T. (2022) ‒ Exploring childhood mobility in Neolithic Southern France (Roquemissou) using incremental analyses of Sr isotope ratios in tooth enamel, Journal of Archaeological Science: Reports, 42, p. 103417.